Il est des livres intemporels, à la portée universelle, capables de conserver leur aura et toute leur magie au fil du temps, que l'on aime ré-ouvrir et arpenter, des livres dont on ne se défait
pas et qui portent en eux une telle lumière qu'elle semble éclairer même les nuits les plus noires.
Assurément "Là où vont nos pères" fait partie de ces livres. D'autant plus au regard de son sujet, l'immigration, avec lequel il est difficile d'éviter les clichés et de ne pas tomber dans un
misérabilisme exacerbé.
À travers l'histoire d'un homme qui quitte sa famille dans l'espoir de lui trouver une terre plus accueillante, où l'avenir sera quelque chose de tangible et non un gouffre infranchissable, Shaun
TAN évoque l'histoire commune de ces personnes qui ont dû tout abandonner pour pouvoir, peut-être un jour, reconstruire.
Quatre ans de travail auront été nécessaires pour accoucher de ce chef-d'œuvre, Shaun TAN ayant fouillé inlassablement dans les archives d'Ellis Island pour se documenter et constituer la
matière de ses dessins. Multipliant les portraits et vues réalistes pour les associer à des éléments allégoriques ou à des métaphores, le récit se teinte d'onirisme et navigue en permanence de la
pesanteur du réel à l'élégance rayonnante de l'image rêvée.
Totalement muet, "Là où vont nos pères" n'en est pas moins éloquent, tant il fait preuve d'efficacité dans la construction du discours par la seule articulation de l'image. Marquée par un rythme
alternant décomposition extrême des actions, multiplication des cases, puis légers ralentissements et énormes moments de pause en pleine page, la trame du récit nous remémore le roulis
des vagues, ce mouvement éternel qui a transporté tant de réfugiés à la surface des océans.
Transporté sans escale jusqu'à la fin du périple, le lecteur est à son tour renvoyé à l'état de passager, voyageur immobile qui a quitté son abri confortable pour un lieu qui le marquera à
jamais...
Baffe esthétique, monument d'écriture et de profondeur, bourré de références en tous genres (cinéma, photo, architecture), "Là où vont nos pères" convie l'universalisme et redonne un visage à
l'autre, celui qui vient de loin pour nous conter son histoire.
Shaun TAN, Là où vont nos pères, 2007, Dargaud