Comme une jarre emplie de fragments d'autres jarres, "Centurie" réunit et fait se succéder un ensemble de 100 nouvelles dont chacune a la particularité de se voir contenue sur une seule
page.
Sans réel lien apparent, ces histoires aux allures de paraboles, dont l'articulation globale semble échapper à une logique linéaire, trouvent un point d'ancrage commun dans leur capacité à
déborder de leur propre cadre.
Au travers d'histoires au contenu hétéroclite, tissant page par page un ouvrage pluriel aux contours chaque fois repoussés, Giorgio MANGANELLI réalise le tour de force, très borgésien, de faire
exister son texte hors-champ. Par sa maîtrise parfaite des codes de l'écriture, par leur torsion ou leur retournement, il parvient à donner une consistance à l'inexistant : cet espace vide entre
chaque ligne. Ce qui est absent, en-dehors, se développe et s'étend incessamment au fil des récits, prolongeant les mots, brouillant le
sens, multipliant les voies...
Tenter de définir et catégoriser "Centurie" paraît voué à l'échec, tant ses facettes sont multiples et changeantes. Pleines de symbolisme, parfois opaques et cryptiques ou au contraire
directes et limpides, ses composantes, extrêmement mouvantes, forgent leur unité à force de rigueur formelle et bâtissent un édifice à la cohérence parfaite, où l'espace est plus vaste à
l'intérieur qu'à l'extérieur.
Contenu et contraint mais pourtant universel et insaisissable, "Centurie" est une œuvre séculaire contant l'indéfinissable et le sacré ; c'est le Temps, omniprésent et supérieur, qui s'écoule de
toute part et forme une mer faite de notre Histoire.
Giorgio MANGANELLI, Centurie, 2016, Éditions Cent Pages
(1979 pour l'édition originale)