Un frère et une sœur vivent ensemble, reclus depuis vingt ans dans une vaste bâtisse héritée de leurs parents qu'ils nomment "Notre Château ". Personne d'autre autour d'eux que
leurs propres personnes et les souvenirs lointains de leur famille, aucun autre son que le silence et, quelque part au-dehors, les murmures des ragots. Aucune autre activité que la lecture
assidue et la sortie hebdomadaire du frère en centre-ville pour, justement, récupérer les livres qui les occuperont toute la semaine.
Le quotidien se compose invariablement des mêmes gestes et des mêmes actions, habitudes venant former un second rempart ajouté aux murs de ce château clos sur lui-même.
Jusqu'au jeudi 31 mars où, à 14h32, Octave aperçoit Vera dans le bus n°39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines en passant par l'Hôtel de Ville. Pourtant Véra ne sort absolument
jamais du château.
Une première pierre de ce haut mur bâti contre l'extérieur est alors descellée, qui va entraîner à sa suite une déconstruction inexorable d'un édifice dont les fondations et la structure se
révèlent, sous la maigre épaisseur de vie que la fratrie a bien voulu appliquer, aussi instables que spectrales.
Les certitudes vacillent, Octave perd pied. Les références littéraires se font nombreuses et reconstruisent un autre réel, tordu et inquiétant, habité par l'imaginaire collectif, hanté par les
images héritées de la littérature fantastique de la fin du XIXème siècle.
Le lecteur devient partie prenante d'un récit où les repères sont rapidement troublés car fuyants et changeants, et où toutes les expériences de lectures passées semblent densifier et augmenter
l'expérience présente. Narrateur et lecteur se trouvent ainsi assimilés par un brillant effet miroir qui ne cesse de questionner le réel dans l'environnement de chacun.
À l'image d'un escalier qui mènerait au cœur vibrant de l'édifice (architecture et psyché), "Notre Château " voit une structure angulaire et répétitive se déployer en son sein et
capturer chaque mot en lui conférant un poids immense. Le labyrinthe, ce texte pourtant court et épuré, loin de s'épuiser, ne fait qu'augmenter au gré des pages et emprisonne celui qui s'y est
trop avancé.
À l'étourdissement des premières secousses succède le frisson de la chute, celui ressenti par qui joue au funambule au-dessus du précipice.
Emmanuel RÉGNIEZ, Notre Château , 2015, Le Tripode