Pure folie que ce "Premier bal d'Emma" ! Folie effrénée, démesurée, inénarrable !
Conte instable tantôt guilleret et coloré, tantôt obscur et sanglant, où l'absurde combat l'horreur, où les cris ne sont jamais très loin derrière la chansonnette, l'histoire d'Emma prend aux
tripes et tord les boyaux.
Alors qu'elle se rend à son premier bal, LE bal, celui qui scellera son passage à l'âge adulte et libérera son oncle Auguste de ses fonctions de tuteur, Emma croise accidentellement la route d'une panoplie de personnages, tous plus déglingués les uns que les autres ; rencontres en cascade qui entraîneront égarement et déviations. Jusqu'au cul-de-sac à l'allure de chausse-trappe, territoire de l'effroyable Savant Fou, prêt à conquérir le monde à la tête de son armée de bourglout's, monstres rapiécés faits de monceaux d'animaux et de chair de soldats prélevée sur les champs de bataille...
Il y a du Mikhaïl BOULGAKOV dans la narration accidentée, pleine de rebondissements, dans l'air vicié par le mal mais toujours porteur d'images fortes et de magie répandue. Il y a la fureur
du docteur Moreau de H.G. WELLS, l'horreur des charniers, l'abjection des expériences scientifiques sur les corps démembrés. Le noir, les angles, la texture, les coups de lame dans les aplats.
C'est un monde hostile qui culbute Emma, à n'en pas douter. Qu'à cela ne tienne, celle-ci évoluera en fonction, libérant sa part animale, sauvage et libre, hors des conventions.
Mais que l'on ne s'y fie pas, le monde peut être bien surprenant et révéler de nombreuses facettes.
En contrepoint, il y a la couleur, vive, éclatante, colonisatrice, l'ivresse heureuse de l'alcool, le (quasi) happy ending des contes de fées, la charge libératrice des colères chaudes, la
douceur de l'amour, et l'humour, omniprésent, absurde, décalé, débridé.
On passe du coq à l'âne, des débris aux bouts de corps, des coups de griffe aux caresses, toujours avec élan et cohérence. Le voyage est merveilleux, mouvementé et éprouvant, mais c'est ce genre
de périple qui nous marque le plus, non ?
"Un beau bal travesti, c'est une grande fête !
Aussi, je le sens,
J'en perdrai la tête ;
Oui, j'en perdrai la tête
Du plaisir que je ressens."
Sophie DUTERTRE & Donatien MARY, Le Premier bal d'Emma , 2017, éditions 2024