" Sur les causes
et les motifs
qui menèrent
à la fin
on aurait pu écrire
des chapitres entiers
dans les livres
d'Histoire
Mais après la fin
aucun livre
ne fut plus écrit."
Un court prologue, puis sept pages totalement muettes, où solitude et désolation emplissent chaque case, et nous voilà plongés dans un récit post-apocalyptique où ni cause ni
conséquence n'ont besoin d'artifice pour sourdre de tout bord. La Terre des fils , c'est un espace dévasté, une plaine marécageuse à
l'allure de dépotoir sur lequel la Nature tente de reprendre ses droits. Les fils, ce sont deux garçons, deux frères nés après la catastrophe, dont le quotidien est fait d'ennui à force de
tourner dans le pré carré qui leur est autorisé par leur père, seul morceau de territoire à peu près sain et sécurisé... Leur quotidien est fait de chasse, de sorties en radeau, de raclées
paternelles. Leur monde est fissuré, réduit à rien, fragmentaire, effondré sur lui-même, tout comme la langue qu'ils parlent, contractée à l'extrême, écourtée, découpée, réduite à sa fonction de
base : échanger de l'information. Curiosité, sentiments et réflexion de fond sont devenus un luxe encombrant et inutile dans un univers où les contacts sociaux sont rares et dangereux, où seule
la survie compte.
Pour autant, le besoin de comprendre se fait de plus en plus pressant, et le sort va se charger de pousser ces deux gosses vers la sortie...
Pavé imposant que ce nouveau titre de GIPI. Imposant par sa longueur (presque 300 pages), c'est surtout sa densité qui frappe de plein fouet et nous laisse exsangue. Servi par un trait
chaotique en noir et blanc, reflet d'un monde devenu binaire qui se limite aux oppositions brutales vie/mort, connaissance/ignorance, pouvoir/soumission, ce récit étend son ombre au-dessus
de nos têtes. Économe dans ses moyens, GIPI se concentre sur l'essentiel et évite l'écueil du trop-en-dire. Au contraire, ici tout est mutique, épuisé ou saturé. Le monde est mort, tout du moins
en suspens. La ligne est heurtée, elle se répète, s'entremêle, c'est la confusion qui esquisse. Et non plus la raison qui organise. Éloquence de l'image, du silence, de l'incapacité à trouver le
mot juste qui dit la fin. Le fond du trou.
Mais, une fois descendu dans le puits, c'est l'immensité du ciel que l'on aperçoit. Et malgré toute cette matière noire qui accroche de bout en bout, l'élégance de certaines planches, la capacité
à faire pénétrer la lumière, à créer des espaces de contemplation qui surgissent de nulle part, à évoquer la curiosité insatiable et l'entraide de gamins pourtant démunis réintègrent une certaine
notion d'espoir. Mais comment savoir si ce n'est pas exactement cela qui nous perdra ?
Sombre et dense, comme à l'accoutumée avec l'auteur italien, La Terre des fils colle à la peau, envahit le regard et hante l'esprit longtemps encore après avoir tourné les dernières pages.
GIPI, La Terre des fils , 2017, Futuropolis