"LE GRAND CERCLE" - Conrad AIKEN

"Des mots. Des échappatoires."

 

Lorsqu'il découvre que sa femme Bertha le trompe avec Tom, son meilleur ami,  Andrew Cather décide de rentrer de déplacement plus tôt que prévu en vue d'une confrontation. Il entame ainsi ce Grand cercle  dans le train qui le ramène à New-York, guidé par son monologue intérieur où le tumulte fait jour, partagé entre le ressassement, la colère et l'interrogation sur sa propre responsabilité.

Découpé en quatre grandes parties, comme quatre actes, quatre mouvements aux thèmes et rythmes distincts, le texte est mené par des modalités d'écritures différentes, où Andy Cather Le Borgne se fait multiple, dispersé entre le passé et le présent. Aidé par une ivresse qui va grandissante, le flot de sa pensée se densifie et part tous azimuts, laissant apparaître en filigrane l'homme, ses démons et ses tourments dans toute leur complexité, dans leur entremêlement.

 

"As-tu jamais regardé une carte du cerveau ? Elle ressemble à l'une de ces cartes imaginaires de Mars. Pleine d'Arabies Désertes. Des canaux, des mers, des montagnes, des glaciers, des volcans éteints, ou des ulcères. La face de lune grêlée de l'esprit. Et toute cette étrange congrégation de cicatrices, ce registre de blessures et de fissures, c'est ce qui parle et agit." 

 

Chacune de ces parties pourraient constituer un texte intégral, tant elles sont différentes d'un point de vue formel et narratif. Pourtant, chacune d'entre elles, mue par une dynamique puissante, se lie aux autres en initiant un mouvement circulaire qui les recentre et les unit. À chaque fois c'est un quart de rotation qui est exécuté, et révèle ainsi un aperçu du paysage (chaotique) intérieur du narrateur.
Épousant ce mouvement, l'écriture se fait flamboyante, emplie d'un regard intense, où toute chose se trouve en équilibre précaire.

 

Conrad AIKEN a ce don véritable de faire vibrer chaque ligne, en conférant à son œuvre une résonance toute particulière, profonde et ample, en captant avec subtilité absolument tout des fractures de l'être. Par la grâce de son écriture, qui pourtant se permet tous les débordements, par la sensibilité de sa vision, par sa capacité à créer le sens par l'amoncellement, il compose une œuvre pleine d'émotion, splendide et terrible.

 

"--- le jour de l'orage, lorsque le tonnerre allait et venait toute la journée, faisant un grand cercle au-dessus de la baie, projetant ses lueurs sombres à travers ciel au-dessus de Kingston et Plymouth, en partant de derrière le monument à Standish mais n'allant jamais aussi loin que South Duxbury, et prenait ensuite le large au-dessus des collines noires de Manomet, la foudre éventrant en d'éclatants coups de poignards le nuage noir pour entrer dans la masse de pluie blanche tombant sur Plymouth et la mer, le tonnerre presque en continu."

 

Le Grand Cercle, c'est la figure dessinée par le mouvement d'un homme qui fait le tour de lui-même, en suivant son axe intérieur, dont le degré d'inclinaison varie et penche dangereusement. C'est aussi la ligne que tracent les aiguilles d'une montre, toute chose revenant irrémédiablement à ses origines en suivant les sillons creusés par le temps.

 

 

Conrad AIKEN, Le Grand Cercle , 2017, La Barque, traduction par Joëlle NAÏM

(1ère traduction en français, 1933 pour l'édition originale)