"VIE POSTHUME D'EDWARD MARKHAM" - Pierre CENDORS

illustration © Anna BOULANGER

"Il y a des histoires qui nous font tutoyer l'azur, sonder les profondeurs ou picorer la poussière. Certaines nous entraînent au loin."

 

Inclassable et difficile à circonscrire tant il se joue des apparences, tant il floute les frontières entre réalité et fiction, ou plutôt fusionne ces deux mondes, 

Vie Posthume d'Edward Markham  est un texte foisonnant, dont on peut au moins dire avec certitude qu'il est aussi fulgurant que déroutant. Car la sortie de piste semble être inévitable à la lecture de ces lignes à la poésie prégnante, d'où s'échappe une vision intense du monde, où l'implication du lecteur, dès la première page, est activement réclamée.

 

"Vous ne serez pas seulement spectateur d'un film. Vous serez ce film."

 

Récit fictif d'un ultime épisode de la série télé culte La Quatrième dimension ,Vie Posthume d'Edward Markham  dessine non seulement l'histoire de cet épisode et de son personnage, Damon Usher,  mais l'enchâsse de surcroît à celle de son scénariste, Todd Traumer, et de l'acteur principal, Edward Markham. Tous deux arrivés au crépuscule de leur vie, ils vont, face à l'imminence de la fin, annoncée ou pressentie, faire de ce film leur requiem.

 

"Comme si tout, depuis le début, dès la première image, s'initialisait inexorablement depuis une fin."

 

Ainsi  s'élève le chant du cygne, passant au travers des multiples strates du réel pour déployer un espace hors du temps, un lieu où les univers s'entremêlent, où résonne un écho lunaire, "spacieux, venteux,"  qui se répercute inlassablement et ouvre un monde des possibles. Cet espace inaltérable, c'est celui de l'œuvre, de la fiction, c'est un langage en mouvement à la recherche d'une trace de nos origines, d'un sillon à suivre jusqu'au ciel, pour (ré)apprendre à voir.

 

"Les arbres, la neige, la pluie, le vent. Je crois que c'était ça le plus important. Un monde qui ne parlait pas. Un monde d'avant la parole. Un monde sans le bruit de l'homme. Un premier monde. Le monde des commencements, le monde silencieux des premières neiges, de la fonte printanière des lumières, de la fraîcheur tombale des forêts d'été, le monde aux sombres tonales venteuses des nuits d'automne. C'était ça mon premier langage."

 

En composant, autour d'un thème métaphysique  (l'existence, l'être, le réel, l'univers, le cosmos) une fusion juste et savamment dosée de poésie et de philosophie, sans pour autant sombrer à aucun moment dans un déballage indigeste, en construisant une mise en abîme faite de clins d'œil et références nombreuses, Pierre CENDORS a l'art des bonnes proportions, et d'agir avec beaucoup de malice et d'ingéniosité.
Car frappe aussi, finalement, l'économie de moyens. Ou plutôt de mots. C'est concis, resserré, toujours élégant, efficace. L'air de rien, on se laisse guider pour, à un certain moment, réaliser que l'on n'est plus tout à fait à la même place qu'au départ. Comme translaté tout entier, avec le canapé sous les fesses, les chaussettes aux pieds et le chat sur les genoux, sur un sentier perdu en plein cœur des montagnes...

 

"À la fois simple et complexe. Simple comme une plage finale au bout des terres, complexe comme un nuage orageux en formation."

 

On se surprend à relever la tête, à braquer les yeux au ciel pour écouter le silence des étoiles. Comme une poésie du cosmos évanescente, Vie Posthume d'Edward Markham  est un texte doux et mélancolique, chaleureux et bienveillant qui nous emmène vers nos terres sombres, ces paysages intérieurs restés en friche. C'est aussi la promesse  que le monde n'est pas fini, que tout est à (re)découvrir.

 

"Plus loin commencent les pulsars, les quasars, la matière sombre, les nuages moléculaires, les trous noirs, les particules cosmiques, nos origines."


 

Pierre CENDORS, Vie Posthume d'Edward Markham , 2018, Le Tripode