"LA TRAVERSÉE" - Clément PAURD

"Déterminer si l'homme face à vous est bon ou mauvais ne vous sauvera pas la mise mon bonhomme !"

Deux hommes, un capitaine rondelet au sabre aussi affûté que son esprit d'autorité, et un fantassin longiligne et philosophe à sa suite, sont en marche vers le champ de bataille. Sur une route déserte, ligne d'horizon dépeuplée,  ils posent un pied après l'autre, regardent droit devant, bien décidés à rejoindre rapidement le théâtre des opérations. Mais plus ils marchent et moins le lieu de l'affrontement se laisse deviner. La guerre ne serait-elle pas au devant ? Pourtant ses stigmates, eux, sont bien visibles. Et au cours de La Traversée , ce sont justement non pas la guerre mais bien ses effets que Firmin et son capitaine vont croiser, modifiant progressivement leurs rapports hiérarchiques, qui s'achemineront doucement mais sûrement vers l'amitié, ainsi que leur perception de ladite guerre, et amenuiseront donc leur motivation à la rejoindre.

Tout au long d'une journée à l'allure de voyage initiatique, de l'aube au crépuscule, et jusqu'à la nuit totale, le panorama offert aux deux soldats de papier passera de la terre nue caressée par la lumière de l'aurore à celle foulée des centaines de pas des civils en exode sous le soleil écrasant. Pour ensuite descendre dans la fosse, au cœur du charnier. Et puis il y aura les maisons pillées, les familles violentées, les animaux égarés, la rage partout ; mais l'entraide et l'amitié aussi, car que faire quand l'horreur se répand si ce n'est préserver la bonté en soi. Et sur ce point Firmin ne manque pas d'intelligence ni d'empathie, qui contamineront un capitaine finalement encore un peu perméable à la fraternité. Et à la peur.

Partant d'une situation très beckettienne, la quête sans fin de deux compères démunis et mal assortis, l'histoire de ces bonshommes use de l'absurde comme du meilleur outil pour déployer un merveilleux plaidoyer antimilitariste. Mâtinée d'humour et de légèreté, La Traversée  n'en reste pas moins une bande dessinée touchante et profonde, pleine d'engagement pour dire le non sens et la folie humaine lorsque cette humanité se dédie à la guerre.
La guerre comme un jeu de lignes et de frontières pour certains, comme si tout n'était que mise en scène, jeu pour rien, pour rire.


Parlant de mises en scène, justement celle de Clément PAURD est brillante, époustouflante, empruntant avec force aux codes du théâtre : sa scène, ses décors, sa temporalité, sans oublier de construire un espace graphique hors-norme accompagné par une écriture alerte extrêmement maîtrisée. Entrées et sorties des personnages, ressorts comiques inattendus et dialogues truculents se couplent à une composition de l'espace au sein de la page pleine de surprises, à une ligne claire souple et élégante soutenue par une colorisation absolument remarquable...

 

Vous l'aurez compris, on n'ira pas par quatre chemins, on ne fera pas de digressions, on ne ralentira pas la cadence, on n'hésitera pas à sortir la grosse artillerie, avec tambour et trompettes, pour clamer haut et fort que Clément PAURD nous offre avec La Traversée  un authentique chef-d'œuvre qui doit impérativement intégrer toute bibliothèque qui se respecte !

"La guerre fait de la pâtée des héros et des justiciers."



Clément PAURD, La Traversée , 2019, éditions 2024