"MON TRAVAIL N'EST PAS TERMINÉ" - Thomas LIGOTTI

 

"[...] Et puis quelque chose s'est senti lutter dans ce fleuve noir sans fond ni limites, une chose encore dénuée de forme, un embryon tourbillonnant dans les ténèbres. La chose était sans yeux, les ténèbres non plus n'en avaient pas. Elle était privée de pensées comme de sensations, les ténèbres seules coulaient à travers elle et autour d'elle en un chaos aveugle et turbulent. La chose était en vie, une chose intranquille et vivante, dans les ténèbres qui coulaient incessamment comme un fleuve noir dans un univers noir."

 

C'est Thomas LIGOTTI à l'autre bout de la ligne infernale. Et dans ce splendide Mon travail n'est pas terminé,  c'est à la face du monde de l'entreprise et du travail qu'il crache sa bile. Ambiance.

 

Quand l'auteur américain, reconnu comme le digne héritier de Lovecraft, appose sa plume sur le papier, c'est pour y ouvrir, par ses œuvres fantastiques, un puits sans fond, pour scruter l’abîme dans le regard, et n'y percevoir que du vide et du sordide. La vacuité et le nihilisme passent chez LIGOTTI par une écriture d'entrelacs, hérissée de mots anciens, de tournures délicates, d'un humour décapant comme l'acide, et d'une sincère générosité dans ses descriptions du désœuvrement et du Mal. Rien de l'existence n'est à sauver puisque l'existence est souffrance.

Et l'auteur de nous embarquer dans son monde de ténèbres et de résignation en édifiant des histoires où de pauvres êtres sans envergure se consument dans le marécage d'une société proprement invivable. Comme un piège machiavélique, son univers hypnotique, construit de manière si parfaite, dessiné par un fil baroque où la finesse de la syntaxe danse le bal avec la brutalité cruelle des images convoquées et les spirales hypnotisantes d'un nihilisme à l'épreuve des balles, nous enveloppe des pieds jusqu'au cortex cérébral.

 

Lire LIGOTTI c'est se délecter d'un venin mortel, auquel on retourne avidement, en se disant que décidément l’Enfer persiste autour de nous, mais que certain·es savent y plonger pour nous le conter dans ses moindres aspérités.

 

 

 

 

Thomas LIGOTTI, Mon Travail n'est pas terminé,  2023, Les Monts Métallifères, Trad Fabien Courtal