À l’heure où l’Argentine rebascule du côté obscur de l’Histoire en se choisissant un président d’extrême-droite mégalomane (et que l’Europe semble prendre le même chemin) il est particulièrement heureux que se rappelle à nous ce merveilleux texte qu’est Le Trille du diable écrit par Daniel MOYANO pendant le temps des dictatures, en 1974, et réédité ici par les importantes éditions La Dernière Goutte.
Ramassé et picaresque, car emportant sur quelques 125 pages son héros de l’arrière-pays désolé à la capitale prise dans les griffes de la junte militaire, Le Trille du diable est une fable tragi-comique sur l’exil et la dictature, les leurres du pouvoir, les paroles mensongères qui enterrent tout un peuple dans la misère - tant humaine qu’économique, et sur la puissance libératrice de la musique ; une ode au pouvoir subversif de l’art, seule vérité capable de faire advenir d’autres horizons.
Les aventures de Triclinio rappellent celles de Candide, l’humour y agit en se jouant du réel, en le mettant à distance par le truchement d’une naïveté si pure qu’elle traverse les épreuves sans même avoir conscience du danger. La tragédie est pourtant partout, entrelaçant amplement ses motifs entre les lignes de la farce.
Rarement on a lu conte si cinglant, texte si impétueux capable de braquer un regard effronté dans l’œil de ceux qui se jouent du peuple. La dictature et toutes ses horreurs réduite à une mascarade vulgaire, ridiculement mortelle face à laquelle les artistes et autres inconditionnel·les de la subversion, même torturés, réduits à la plus grande misère, trouveront toujours une réponse. Un lieu.
Évidemment on pense à Haroldo CONTI, tant la proximité intellectuelle et politique est flagrante. Tant leurs œuvres respectives, écrites à un an d’intervalle, sont habitées par un même souffle de liberté, un regard qui sait être sensible, farceur, attentif, inventif et poétique. Impossible que ces deux-là n’aient pas été compagnons, l’un finissant ses jours en 1976 dans les geôles de la dictature pendant que MOYANO, emprisonné puis relâché la même année, devrait choisir l’exil en Espagne.
Daniel MOYANO, Le Trille du diable, 2024, La Dernière Goutte, trad. Hélène Serrano