"LA FLÉTRISSURE" - Emmy HENNINGS

 

Cri de révolte sociale en même temps que quête mystique désespérée, La Flétrissure  de la désormais réintronisée Emmy HENNINGS - figure tutélaire du mouvement Dada et du Cabaret Voltaire qu’elle a cofondé avec son compagnon Hugo Ball - est une lente plongée dans les affres traversées par Dagny, alter-ego fictif de HENNINGS, dans l’Allemagne du début du XXeme siècle.

 

Comédienne, artiste, poétesse et chanteuse sans le sou, passant d’une troupe itinérante à l’autre, Dagny traverse aussi la prostitution. L’indigence de sa situation, loin d’étouffer sa voix, la relie aux autres qui partagent sa condition, amplifie colère et tristesse abyssale. Entre rapides incursions dans le milieu et longues réflexions obsédées par l’idée de faute et de pardon, « La Flétrissure » se construit patiemment, toujours sur la corde raide d’une existence généreuse qui rêve d’un monde meilleur mais impossible à toucher.

 

Fébrile à chaque phrase mais pourtant d’une grande puissance, le récit de Dagny est porté par une intelligence si délicate et une sensibilité si transparente qu’elles en deviennent une force inégalable. Sérieuse et attentive dans son rapport au monde, Dagny ne peut se résoudre à la misère humaine, ni la sienne ni celle des autres. Aucune accoutumance chez elle, aucune habitude ni capacité à s’accommoder en font une inadaptée permanente dans une société inadaptable.

 

La Flétrissure  est une blessure impossible à refermer, un texte sinueux qui épouse les contours d’une pensée qui s’épuise à (se) regarder sans ciller. C’est une œuvre qui ressemble à un testament, c’est un cri et des pleurs, habités par une écriture qui trouve une carnation particulière, entre concrétude sans détours et dérives éthérées. C’est un manifeste en forme de désir puissant de faire communauté, de n’oublier personne, de n’être réduite par personne.

C’est grand, c’est terrassant, c’est inoubliable.

 

Ce texte fait suite à Prison, déjà publié par les très excellentes éditions les Monts Métallifères et gageons que ces deux publications réhabilitent dans le temps long le nom de Emmy HENNINGS.

 

 

 

Emmy HENNINGS, La Flétrissure, 2024, Les Monts Métallifères, Trad. Sacha Zilberfarb.