"ANNA THALBERG" - E. SAN GARCIA & "L'AFFABULATEUR" - J. WASSERMAN

 

Écrits à quasiment 100 ans d’écart - 1926 pour L’Affabulateur  et 2021 pour Anna Thalberg - ces deux textes trouvent une résonance particulière entre eux et avec notre époque, qui les éclaire d’un jour puissant et relie leurs deux corps.

Unies par des histoires qui usent du même contexte - la chasse aux sorcières et actes infâmes perpétrés par l’Inquisition en Allemagne au XVIe siècle - les œuvres de Jakob WASSERMAN et Eduardo SANGARCÍA, chacune à sa manière, le premier merveilleusement caustique et le deuxième savamment dialectique, sont des charges brillantes contre l’intégrisme et le dogmatisme forcenés, Mal absolu déguisé en haut protecteur du Bien.

 

L’auteur mexicain comme l’allemand font vivre l’Enfer à leur héros et héroïne. Mais cet Enfer c’est bien celui des vivants, nourri par le feu du pouvoir, de la peur, de la bêtise infinie, par le goût du sang que les gardiens du Temple semblent entretenir en leurs cœurs comme un trésor.

Anna et Ernest, soumis à l’horreur, bien loin l’une comme l’autre de faire le Mal mais abattus par lui, ont en commun en revanche de brûler d’une vie irréductible. Chez SANGARCÍA comme chez WASSERMAN ces personnages centraux, hautement humain·es (dans le sens où iels représentent peut-être le meilleur et le plus pur de notre pauvre humanité), uniques, volontaires, dignes, différent·es agissent comme des fer de lance de vies minuscules bafouées par la cruauté et l’ignominie des puissants et des lâches.

 

L’Affabulateur  est un conte ironique mordant qui tourne à la parabole tandis que Anna Thalberg  est un récit vibrant et tendu qui fraie avec l’étrange et joue formellement avec la notion de dialectique.

Les deux sont des brûlots qui abritent une colère sourde, une révolte contre les pseudo justifications de l’horreur et de la souffrance. Tous deux font montre d’une maîtrise littéraire impressionnante, d’une puissance intellectuelle incroyable et de capacités narratives exceptionnelles. Tous deux regardent le Bien et le Mal dans les yeux, scrutent à l’intérieur de ces enclos hérissés de trompe-l’œil et de pièces d’argent, et y envoient leurs mots comme on lancerait des pierres dans les symboles qui nous oppriment.

 

 

 

Eduardo SANGARCÍA, Anna Thalberg, 2021, La Peuplade, trad. Marianne Millon

Jakob WASSERMAN, L'Affabulateur, 2010, La Dernière Goutte, trad. Dina Regnier Sikirić & Nathalie Eberhardt