"KURTZ" - Michaël MATTHYS

 

Écrire l’enfer colonial. Écrire la mort. Écrire le désossage d’un continent, les limbes dans lesquels ces actes nous ont - nous puissances coloniales - plongés, les images fantasmatiques drainées dans le sang, les réminiscences sans âge, l’horreur des corps entassés, la raison définitivement égarée dans la masse d’une obscurité sans fin.

 

Tout ceci Michaël MATTHYS le fait avec une puissance phénoménale. En rebondissant sur Au cœur des ténèbres, texte emblématique de Joseph CONRAD, notamment en réactivant en vue subjective le regard de Kurtz, son personnage central, en l’égarant au cœur d’images ou le brouillard du fusain se mêle à l'épaisseur ocre du sang de bœuf, l’artiste compose une œuvre dévastatrice dont la marque s’imprime à vif sur notre rétine.

 

Des cris résonnent encore dans la luxuriance atrophiée, ce sont les derniers mots de Kurtz, sa folie au grand jour cendreux, gueulée aux quatre vents. Ce livre est son errance et la nôtre, où le dessin investit par ses mouvements répétés et chaotiques la brutalité, l’outrance, la folie. Sans aucun autre échappatoire que celui de s’immerger dans le bain de boue et de sang pour traverser la nuit jusqu’à l’ensevelissement. Personne ne sera sauvé, personne ne sortira renforcé. Ce livre est un puits profond dans lequel on regarde craintivement pour y trouver le tas informe de nos abjections.

 

Ce livre est important. C’est un édifice effrayant, gardien des horreurs de la colonisation ; pour ne pas oublier sur quoi reposent les fondations de notre société.

 

 

 

Michaël MATTHYS, Kurtz, 2024, Fremok