"C’était une rebuffade contre l’ordre. Une volonté de désordonner non pas pour ordonner autrement, mais pour ne jamais se contenter d’un seul ordonnancement. C’était un désir insatiable de tohu-bohu. Un dé de hasard jeté dans l’œil de la partie qui perdait le papier des règles. Un mouvement incoercible en lutte dans l’immobilisme."
Folie et joie du désordre. Avec ce Bakasable azimuté calé sur des pôles surréalistes dont le Nord permute constamment, Ugo RIOU offre un texte brillant, joueur et gentiment (?) frondeur.
Emmené par une vague narrative qui s’autorise tous les paradoxes, tous les débordements, toutes les bizarreries, Bakasable met en scène un groupe d’enfants dans une cour d’école chargés de désapprendre le monde et d’en faire un spectacle. Chamboulement des codes, tête du récit mise sens dessus-dessous ; il y a pourtant quelque chose qui file droit, et c’est peut-être l’acharnement d’une écriture à se réinventer frénétiquement. À fuir l’ordre pour laisser éclater la beauté du déséquilibre primordial.
Bakasable est un texte exubérant, tout en excès, mais dont chaque phrase, chaque image trouve une raison profonde, construit son propre belvédère pour en saper aussitôt les fondations. Drôle et dramatique, sérieux et dérisoire, sa folie réjouissante sait se faire menaçante en un tournemain. Rien n’est définitif dans ces lignes, tout bouillonne, tout meurt et ressuscite, tout avance dans le magma d’une création prise en étau entre les relents d’un siècle de boucheries et le gouffre d’une époque où tout a déjà été inventé. Ne reste plus que le retour au bac à sable, à son écriture de vent, à cet espace de jeu où tout est possible.
On a pensé à l’effervescence d’Amos Tutuola et de son fabuleux Ivrogne dans la brousse, à la rudesse de Cendrars, aux aboiements d’Artaud. C’est dire si ce Bakasable mérite qu'on s'y jette !
Ugo RIOU, Bakasable, 2023, L'Atteinte