Après La Maison disparue, les éditions Corti et la traductrice Catherine Fagnot prolongent le geste initié en 2018 par Vies Parallèles de publication en français de l’œuvre d’Adelheid DUVANEL, avec la sortie ce mois-ci de ces Histoires de vent.
« Depuis ce moment, je me demande si les mots ne peuvent édifier un nouveau monde au-dessus du grand vide, au-dessus de l’abîme dans lequel est tombée ma vie. »
Voilà en peu de mots de quoi saisir l’intensité, l’extrême sensibilité et l’étrangeté conjointes de l’univers de l’autrice bâloise décédée en 1996.
Avec Histoires de vent, premier recueil de micro-nouvelles magnifiques et dévastatrices publié du vivant de l’autrice, l’on tient peut-être une porte d’entrée plus aisée dans ce monde de fragilités aiguës, de marginalités psychologiques, de béances sociales à aucun autre pareil.
Alors que les recueils Délai de grâce, Anna et moi puis La Maison disparue, postérieurs quant à leur écriture, font montre d’un resserrement extrême, d’une concision suprême qui fait tenir les récits sur une page, deux ou trois tout au plus, et monte l’écriture comme une image électrique brouillée par son propre flux de pensées, Histoires de vent en constitue une forme de proto-geste. Phrases et narration un peu plus amples, conclusions tragiques, voire cruelles, mais toujours en bout de ligne d’une structure narrative encore limpide, où l’achoppement se fait discret. Ici déjà la tragédie est partout dans l’œuvre, rivetée à chaque mot qui semble systématiquement disposer d’un envers opaque et menaçant ; les individus que l’on suit semblent personnifier la notion de brèche, d’inadaptation au monde, leur situation est irrémédiablement incommunicable.
On est comme aux sources d’une écriture qui ne cessera ensuite de se réduire pour s’épaissir, pour gagner en mystère, d’ouvrir grand les phrases pour les entailler d’un autre regard, celui de vies dont l’axe vacille et repose peut-être ailleurs, sur un autre plan.
On est comme aux sources d’une écriture, et c’est déjà immense. Et c’est une joie d’en percevoir les amorces, d’en goûter les perspectives, d’en distinguer les fondations. De se laisser submerger.
Adelheid DUVANEL, Histoires de vent, 2024, Corti, trad. Catherine Fagnot