"LE PARADIS PAS L'ENFER" - Michael DeFORGE

 

En une série de 17 brèves histoires étranges, métamorphiques et pourtant particulièrement transparentes, le génie canadien Michael DeFORGE dépeint brillamment les affres de la société contemporaine.

 

Son trait ondulant, ses compositions foisonnantes aux formes alambiquées, ses couleurs tapageuses explorent, via des scénarios où la métaphore fait figure d’étendard et l’imagination projective de combustible infini, nos solitudes, nos errements, nos perspectives sociétales, nos fuites, nos peurs, nos manques.

 

À chaque histoire sa part d'étrangeté, en ce sens que l'étrange altère le réel, en griffe ses parois. Tout est bizarre et tordu dans ces récits narrés à la première personne ; on ne reconnaît rien du monde commun, et pourtant on en sent ses structures, et les tensions que celles-ci produisent sur le corps - intime comme social - et les esprits. On avance à tâtons mené par un auteur dont l'art de semer le trouble est à son apogée. Formes fluides et récits ambivalents, parfois carrément flous, enveloppés dans une gangue de chaleur chromatique et de mystère brûlant.

 

Michael DeFORGE construit avec sa bande dessinée peut-être un des plus beaux exemples de pensée fluide mise à l'épreuve du dessin. Le monde, en tension folle, y est mis en déroute, intimement et formellement. Autre chose, indéterminé, ouvert, lui succède. Au lectorat de se faire une place dans ces histoires d'un autre genre, qui demandent certainement une forme d'abandon, mais aussi de projection, de réflexion intense pour faire advenir la forme finale de ces atmosphères bourrées plus de questions que de réponses.

On y retrouve la même puissance visionnaire et intransigeante que dans les films de David Cronenberg, le même type d'étrangeté mal-aimable mais terriblement stimulante, outrageusement attirante.

 

Le Paradis pas l’enfer  : un titre comme une sentence à méditer le long des couloirs étroits de nos vies.

Du pur génie, surréaliste, visionnaire, comme toujours.

 

 

 

Michael DeFORGE, Le Paradis pas l'Enfer, 2024, Atrabile, Trad. Christophe Gouveia Roberto