Attention, sur un bandeau publicitaire détonnant, Le Chemin de Fer prévient d'emblée : ce livre est un volcan. Et les éditeurs ont raison de décrire ainsi Rue Castellana Bandiera. Car le récit impétueux de la sicilienne Emma DANTE, qui pourrait commencer comme une farce - deux voitures bloquées face à face dans une rue étroite et qui ne veulent pas se laisser passer - dans le cadre pittoresque des rues de Palerme est en vérité une tragédie édifiée sur une réalité sociale où la violence suinte de partout.
Rédigé en deux langues, dans un italien dit "standard" et dans un sicilien dialectal - peut-être aussi éloignées l'une de l'autre que le français de l'occitan - Rue Castellana Bandiera use du fossé entre les deux, des difficultés d'entendement, comme d'un bloc gigantesque disposé entre deux mondes, si ce n'est irréconciliables au moins incapables de converger.
D'un côté une famille sicilienne "pur jus", avec son patriarche magouilleur, ses belles-filles survoltées qui se détestent, ses fils entraînés plus ou moins dans l'ombre du père, et évidemment tout ce que les clichés et la violence intra familiale dissimulent à merveille : les sensibilités, les différences, les secrets jalousement gardés. Et malgré tout aussi un truc touchant, une forme de ciment un peu rêche qui soude dans un même lieu de vie une communauté explosive. Un peu à part mais au cœur du maelström, la grand-mère albanaise qui a connu l'enfer de la traversée, de l'exil, et du deuil de sa fille.
En face un couple en crise qui tente un peu de tourisme : une palermitaine devenue milanaise avec sa compagne continentale. Plus libres mais non moins soumises aux doutes, au mal-être, aux incompréhensions.
Ces deux micro-mondes se font face, se toisent, scrutent les failles autant qu'un signe amical. Mais la vie est parfois, elle, inamicale. Le sirocco souffle son air brûlant, assèche les esprits, met le feu aux poudres d'un récit qui couve son feu comme l'Etna le fait de ses entrailles.
On salue le travail de traduction de Eugenia Fano, phénoménal, sans concession, on dira même sans égard pour le lecteur français qui se trouve propulsé dans un texte qui fuit l'exotisme pour adhérer à la matière des lieux.
Emma DANTE, Rue Castellana Bandiera, 2024, Le Chemin de Fer, trad. Eugenia Fano