"IMMATÉRIEL" - Jérôme DUBOIS

 

Attaquant la question de la solitude et de l'isolement dans notre société par la face nord, c'est-à-dire en ne tournant pas autour du pot et en choisissant d'entamer son histoire en mettant en scène un jeune homme retranché dans son appartement depuis un temps indéterminé qui n'a plus que pour seul horizon les interfaces numériques, et qui d'un coup disparaît corps et - pas tout à fait - âme, Jérôme DUBOIS parvient à construire avec Immatériel  un récit vibrant qui mêle admirablement l'étrange et l'intime.

 

Car quelque chose subsiste ensuite de l'existence de ce jeune homme solitaire et paranoïaque, une présence fantomatique qui hante le lieu qui l'abritait et qu'il ne quittait plus. Une présence si attachée à son terrier, condition de sa mémoire et de sa survivance, qu'elle va peu à peu prendre possession de celui qui lui succède inévitablement.

 

Dense, étiré, au plus près des esprits et des lieux, le récit s'emploie à observer des relations, tant aux autres qu'aux lieux ou au monde environnant, où la solitude et la séparation règnent. Le dessin, attaché quant à lui aux corps comme aux espaces, navigue entre trois modes de représentations graphiques - inspirés et fascinants - pour traduire, investir des regards altérés, en-dehors de nos modèles perceptifs usuels. L'usage d'un code couleur rudimentaire en RVB, synonyme du codage informatique des couleurs, passe quasiment l'ensemble d'Immatériel  sous le regard d'un signal numérique autonome, comme un ultime élément en surplomb qui hanterait déjà le réel. Hanté, "Immatériel" l'est de toute part.

 

Au final Jérôme DUBOIS prolonge ses réflexions mises en place dès son premier livre et qu'il travaille depuis - sans jamais se répéter - avec acharnement, sur le sentiment d'inadéquation au monde, sur la solitude féroce dans une société aux structures sociales régies par le capital, sur l'importance des lieux et des souvenirs en ce qu'ils constituent une part irréductible de l'être, et sur la magnifique persistance d'un univers fertile plus ou moins visible entre les murs étroits de nos prisons mentales.

 

 

 

Jérôme DUBOIS, Immatériel, 2024, Cornélius