"Un coup de hache dans les reins, tu t'es imobilisé, entendais-tu les crapauds chanter ma victoire, entendais-tu la mort te voiler les ieus ? Tu as sursauté et tu as craché, tu étais étoné
d'être vaincu par moi, un demi-ome demi-fame, un moins que rien, un combatant ridicule, tu as alors compris que toute chair est de la mort en puissance
&
que toute chair est puissance de mort"
Avec La Sous-Bois Cristofe SÉGAS creuse le sillon ouvert avec ses précédents livres en remettant en scène un monde post apocalyptique - monde d'après Reset, événement cataclysmique dont on ne sait plus rien si ce n'est qu'il a signé un redémarrage forcé de la civilisation dominante - où le peu d'humanité qui subsiste semble avoir hérité des mêmes traits peu amènes que ceux de la fournée précédente...
Violence chevillée aux corps, luttes permanentes et mortifères pour le pouvoir, annihilations, conquêtes, vengeances, mensonges, dogmatisme débilitant, manipulations de masse, écriture-réécriture de l'histoire : ingrédients éternels chez SÉGAS d'une humanité prise au piège de sa voracité.
La Sous-Bois c'est le nom d'une machine (transcription de la fameuse Underwood) qui a permis d'écrire le texte que l'on tient entre nos mains, tapé par un certain Perceval, chargé de tenir la chronique de la caravane de commerce qu'il accompagne et de rédiger les mille vies de son capitaine, homme de pouvoir au destin sinueux comme la crête d'une dune. Entre passé mythifié et présent bousculé conté avec art, le texte alterne et claudique, poussé par le rythme effréné de l'écriture.
"[...] ce que vous apelez pouvoir n'est qu'un mauvais pastiche de puissance, vous n'êtes, tous les trois, que des imatures dénués d'idéaus, dominés par vos besoins, vos désirs et vos jalousies, de petites bestioles totalitaires qui avez oublié ce qui fait de vous des umains et bientôt, crois-moi, vous vous fourvoierez dans des oreurs, les omes qui rejoindront la troupe n'auront plus aucun talent de comédien, ni d'acrobate, ni de jongleur, ils seront en revanche excélents combatants ou tueurs perfides, vous délaisserez le spectacle et vous vous adonerez de plus en plus souvent, puis exclusivement au vol, à l'extorsion et au ravage, et vous serez devenus de sales pirates."
Voilà pour le contexte. Pour le reste l'univers ségassien habituel se libère ici de son aspect grotesque pour construire avec La Sous-Bois un superbe roman d'aventure éclairé par les lumières des grands mythes, les millions de nuances qui composent l'âme, et dont la férocité de la vision jongle avec une puissante réflexion sur le pouvoir de l'écriture.
Car s'il y a bien quelque chose d'hypnotique et de vibrant avec La Sous-Bois c'est ce mouvement si aisé de l'auteur à électrifier la tension entre littérature et mensonge, savoir et pouvoir, connaissance et soumission, mythe et société.
Le Capitaine a fumé ainsi pendant une demi-eure tandis que H.M. entretenait le foyer, et Trilce s'est mise à raconter des fragments de mites, aussi imaginaires que les noms des graminés, mais encore et toujours,
seul
compte
le ritme."
La Sous-Bois est une extraction faite au burin de notre monde contemporain, retravaillée avec la glaise des origines et la boue puante du futur qui nous pend au nez, et Christophe SÉGAS de parvenir tout de même à nous entraîner avec une certaine joie sur ces chemins hasardeux. La joie d'avoir fait un beau voyage.
Christophe SÉGAS, La Sous Bois, 2024, Les Monts Métallifères