"Tous leurs jeux sont habités par la terreur et le danger. Elles s'abandonnent au drame sans retenue. La vie uniforme et préservée, au sein de la famille, est depuis longtemps ennuyeuse, et tout est permis pour que l'excitation reste intense. La vie est insupportable sans le malheur."
Puissance indescriptible et présence indétrônable que celle de l'écriture de Unica ZÜRN.
Dans ce texte de 1969 aussi court que tragique, publié par Ypsilon dans une nouvelle traduction signée Lucie Taïeb, l'autrice allemande déroule une vie prise en étau. La vie d'une jeune fille, dont on cherche les échos autobiographiques, comprimée entre la violence masculine, le mensonge adulte, et le désir de grandir et d'atteindre cet univers aux portes encore fermées où résonnent les désirs sombres et les pulsions muettes, abrasives.
"Elle s'est souvent demandé, dans les heures noires du désespoir, pourquoi il lui fallait être au monde. Elle en voulait à ses parents de l'avoir engendrée. Il lui paraissait hostile, ce monde, indigne d'être aimé. Son apparition la bouleverse tellement qu'elle pourrait aussi bien mourir sur-le-champ. Il n'existe rien pour elle qui puisse être plus extraordinaire ou plus excitant que la contemplation de cet étranger."
Tout est tragique dans l'écriture de ZÜRN, tant la vie est un long chemin de désillusions, de blessures profondes, d'inassouvissements, et le constat d'une société patriarcale qui assène ses coups et musèle le corps féminin.
L'écriture y est tendue, sans aucun fard, déployée dans un présent malaisant fait d'ellipses désarmantes, où l'on court après une révélation, celle d'une vie bonne et lumineuse, défaite de ses secrets, alors que le passé, perdu à jamais, semble être le seul garant d'une certaine forme de douceur et d'innocence.
"Elle voudrait être belle quand elle sera morte.
Elle voudrait qu'on l'admire : jamais on n'a vu plus bel enfant mort."
Si on devait comparer l'incomparable, on vous dirait de fusionner le monde électrique et étrange d'Adelheid Duvanel avec celui spontané et désemparé de Carson McCullers, et au milieu se trouverait ce merveilleux Printemps Sombre de Unica ZÜRN, la très grande.
Unica ZÜRN, Printemps Sombre, 2024, Ypsilon, trad. Lucie Taïeb