STOOOOOOOOOOOOP !
On arrête tout et on s'esbaudit deux secondes, dans ce monde de merte où la nécessité de couper les têtes des rois se fait de plus en plus pressante, la lecture du fort excellent et généreusement hilarant Ballades de Camille POTTE arrive à point nommé !
" - C'est le seigneur d'ici. C'est lui qui m'a envoyée vous secourir.
Vous allez bientôt fayre sa connoissance, il est prévu que vous l'épousaillez à nostre retour.
- Hein ?
Il est sympa ?
- Euh. Bof "
Allez, en selle ! Ballades c'est le cliché du conte médiéval retroussé sur ses images d'Épinal, lesquelles voient leur trame sacrément tourneboulée par une autrice dont on devine vite la malice incendiaire. Princesse prise au piège dans son donjon gardé par le dragon, prince changé en grenouille, sorcière échevelée, preux chevalier : tous les ingrédients sont dans la marmite, épicés avec art par l'usage d'un pastiche de langue moyenagisante. Sauf que la princesse va se révéler plus vénère et autonome qu'attendu, que le prince est un sombre idiot dont l'insolence a fini par trouver son revers, que le chevalier est une chevalière, que la sorcière, tout échevelée qu'elle est, parle en fait comme une sage, et que les troubadours se font becqueter à peine leurs chansons entamées, remplacés par force grenouilles et salamandres, aux cordes vocales affutées et à la langue bien pendue !
"Ooooh mon Gouri ! Nouzautess les salamandres, çô fait bin longtemps qu'on est lô !
On a eu le temps d'apprendre ô voir eul-monde au-dlô des apparences.
Ça nous confayre des pouvoirs extraordzinayres !
Je peux porayxemple te praydire l'heure de ta mort"
De son trait élastique étiré à la façon d'un chamallow cuit à la vapeur et placé sur une quenouille, Camille POTTE trempe son récit pétaradant dans un alliage délicieux de F'murr et Emilie Gleason. Lignes souples et longues esquissent des silhouettes énergiques, dont les contorsions se savourent autant que les répliques qu'elles s'envoient pleine poire. Les barres de rire attendent en embuscade à chaque case, épaulées par une pensée politique affûtée et faussement dérisoire. Où l'agentivité des femmes est recentrée, où la pensée même du pouvoir est dynamitée, et le regard sur une altérité animale radicale et ses modes perceptifs largement corrigé.
"- L'est où vot' mari ?
- Je n'en ai pas.
- Han flûte. ... L'est mort ?
- Non il est pas mort : j'en n'ai pas, j'en n'ai jamais eu et j'en veux pas.
- ... C'est pass' t'es mariée à not' seigneur jésuchri ? "
Idiote de la plus belle des manières, c'est-à-dire particulièrement inventive et malicieuse dans sa bêtise, irrévérencieuse jusqu'à la moëlle, cette histoire en forme de pseudo quête est un cocktail monthy pythonesque délicieux et iconoclaste, où la couleur, vive et tranchée, joue le rôle de bouffon détonateur.
Par le rire - abondant - et le grotesque, Camille POTTE envoie bouler le pouvoir et ses oripeaux, le patriarcat et ses chaînes, la bêtise crasse et ses laissées, et fait de ce Ballades une merveilleuse potion contre le désespoir.
"On peut envisager une polyphonie à trois grenouilles, c'est quoi ta tonalité ?"
Camille POTTE, Ballades, 2024, Atrabile