"KILMOTOR" - Helge REUMANN

 

Kilmotor, dès son titre, annonce bien la couleur et exprime de façon très compacte ce dont il est question dans le travail toujours aussi exceptionnel et captivant de Helge REUMANN.

Abstrait, étrange, inconnu, le néologisme kilmotor laisse pourtant clairement apparaître les racines qui le nourrissent. Le transformant en terme symboliste, en mot totem et incantatoire. Fusion de deux entités féroces et mécaniques réunies en une sentence dont on ne sait s'il s'agit d'une injonction forcenée ou d'un nouveau type de machines, Kilmotor, arboré en couverture, sera le seul mot auquel se raccrocher au cœur de l'œuvre entièrement muette.

 

Plongée hypnotisante et effarante dans un monde où la violence semble fixée au scellement chimique dans l'âme des individus et des artefacts de mort qu'ils utilisent pour se mener une guerre sans fin. Ça ressemble à la Terre, ça ressemble à l'Enfer. Des groupes de personnages aux gueules cassées ou aux silhouettes dégoulinantes se livrent à des exactions sans merci dont on ne distingue plus ni les motifs ni les objectifs. Les actes sont obscurs, toujours à mi-chemin entre la volonté d'annihilation brutale et la quête spirituelle, métaphysique.

 

C'est là que REUMANN est un génie massacreur, il canalise et précipite les énergies mortifères, les flux d'absurdités, les machines folles qui empèsent l'univers et le broie dans un dessin en noir et blanc aux lignes épaisses, cabossées, émaillées de textures en nuages de points et nœuds resserrés. Les cercles de l'Enfer sont denses et détaillés.

 

Et puis de temps à autres, dans cette course à toute blinde vers le ravin, le récit fait lui-même des détours, des virages, des arrêts sur images en couleurs, où les symboles et les objets du récit prennent, brutalement, une autre envergure. Quasi contemplative, presque espaces de révélation.

Parfois l'incongruité et le rire s'invitent, grenades sur le pare-brise, avec une superbe mise en perspective de la place un peu bizarre de l'artiste qui s'évertue à retranscrire un monde incommunicable, en flammes.

 

Du grand art boosté au nihilisme, mais bien vivant, grandiose dans ses bifurcations, sa capacité de détails, ses visions furieuses et au combien fidèles d'une humanité qui met grand soin à se déglinguer ; et au milieu toujours des choses étonnantes, hilarantes, busterkeatonienne qui révèlent un regard pas si résigné qu'on le croirait.

 

 

 

Helge REUMANN, Kilmotor, 2024, Atrabile