"MÉMOIRES SAUVÉS DU VENT" - Richard BRAUTIGAN

 

 "Pendant que je me trouve encore à quatre cents mètres de là, que je reviens à pied vers l'étang, un sac de bouteilles de bière sur l'épaule, je vais vous parler de quelque chose de plus intéressant que le trajet qui suit divers sentiers battus, le long des voies familières du chemin de fer menant au dernier sentier qui finit, ou commence peut-être, de nouveau à l'étang."

 

Avec Mémoires sauvés du vent, Richard BRAUTIGAN offrait au début des années 80 un de ses récits les plus mélancoliques, où les regrets du passé, les souvenirs d'une enfance ballottée par les difficultés sociales et l'imagination lumineuse du narrateur s'entrelaçaient en un ouvrage dont le canevas restait l'Amérique et son essence profonde.

 

"On aurait dit un conte de fées qui fonctionnait gaiement au beau milieu du gothique ambiant de l'Amérique d'après-guerre, avant que la télévision ne fasse de l'imagination de l'Amérique une infirme et ne fasse rentrer les gens chez eux, leur interdisant de vivre leurs propres fantasmes avec dignité."

 

Tout l'art de la concision et de l'implosion des genres littéraires déployés par un Brautigan au sommet de sa pratique, capable de mettre le doigt sur les fondations d'un pays, et de produire un pli à l'endroit précis où celles-ci font vaciller un destin.


"Pour une raison bizarre, je suis convaincu que seule une connaissance exhaustive de tout ce qui touche aux hamburgers me permettra de sauver mon âme. Si j'avais acheté un hamburger ce jour de février, au lieu d'acheter des balles, tout se serait passé autrement ; c'est pourquoi il est indispensable que je découvre tout ce qu'il est possible de trouver sur les hamburgers."

 

On ne sait pas très bien comment l'auteur parvenait à faire tenir sur un fil aussi fragile la plus grande mélancolie, en roue arrière les cheveux dans le vent passé, avec son barda de farces et attrapes bien calé sur les épaules et deux ou trois peaux de bananes dans les poches - pour ceux qui auraient eu envie de le suivre dans son inimitable voie littéraire ; mais il y parvenait avec la plus grande grâce. Équilibriste merveilleux au-dessus du mont Amérique, le regard fixé sur ses marges, ses habitudes, ses angles morts et ses symboles dérisoires.

 

 

 

Richard BRAUTIGAN, Mémoires Sauvés du vent, 1983, Christian Bourgois, trad. Marc Chénetier