"VIRGILE, NON" - Monique WITTIG

 

"Les aires sont dépourvues de toute ornementation. Le sable passe en lames fines et dures sur les surfaces battues. Celle qui se dit mon guide, Manastabal, marche en avant de moi. Encore heureux qu'on n'ait pas à porter des tuniques pour entreprendre ce voyage tout ensemble classique et profane car elles seraient en un instant arrachées par le vent."

 

En 1985, Monique WITTIG réinvestissait l'espace de La Divine Comédie  pour faire traverser à son alter ego littéraire les multiples cercles de l'Enfer.

Ainsi dans ce grandiose Virgile, non, Wittig, menée par Manastabal, "son" guide au travers des cercles infernaux, creuse sa trace dans le monde du dessous et croise des multitudes d'âmes damnées en prise avec leurs bourreaux et leurs supplices.

 

Sauf qu'en lieu et place des images dantesques habituelles, l'Enfer chez WITTIG est patriarcal et hétérosexuel. C'est le lieu où se concentrent tous les sévices perpétrés par une société qui fait des femmes des objets, des faire-valoir, de la chair consommable. L'Enfer chez WITTIG porte les stigmates du monde de la surface, il n'est qu'un prolongement radical et sans édulcorant d'un système qui empêche l'émancipation de sa part féminine ; pire : la brutalise.

Longue traversée pénitente pour Wittig en quête de son aimée, laquelle a déjà trouvé sa place au Paradis. Avec la taciturne mais sage Manastabal à ses côtés, il lui faudra traverser les horreurs et comprendre ses propres erreurs, ses jugements à l'emporte-pièce à l'encontre de celles qui n'ont pas pu ou pas su ou pas voulu opter pour la liberté. Celle du lesbianisme, de la sororité à toute épreuve, de la sécession avec le masculin.

 

"Et elle me rappelle qu'on n'est pas en enfer pour donner tort aux âmes damnées mais pour leur indiquer si besoin est le passage pour en sortir."

 

Apposé sur l'enfer traditionnel, on distingue San Francisco, ses laveries, ses bars, ses rues... Le monde des vivants serait donc déjà l'Enfer. Wittig nous fait naviguer des rives tourmentées de l'Achéron aux paisibles limbes, lieu du repos et de la discussion. Le bon vieux rade sacré. Lieu du recul et de la réflexion. Jusqu'au Paradis c'est un chemin de croix qui l'attend néanmoins, qui ne pourra se faire qu'avec le partage des douleurs et le déploiement d'une empathie profonde, sincère. Là certainement où réside la lumière.

 

"Manastabal, mon guide, dit :

(C'est que ton principe à toi c'est : ou bien... ou bien. Tu n'établis pas de nuances. Tu ne vois rien de complexe à ce sur quoi repose l'enfer. Tu déclares qu'il faut le détruire et tu t'imagines qu'il suffit de lui souffler dessus.)"

 

Il y a de la force et de l'espoir chez WITTIG, de la volonté, de la grandeur d'âme, et une capacité à écrire avec la nuance, à mettre en action une langue qui devient creuset pour une pensée complexe, défaite du carcan du patriarcat, pleinement libre, qui se fabrique ses propres symboles, ses propres horizons. C'est unique, c'est inaltérable, c'est géant !

 

 

Monique WITTIG, Virgile, non, 1985, Éditions de Minuit